Preface: Guillaume Dubufe

Introduction

The three-page preface to the portfolio is believed to have been written by Guillaume Dubufe,  listed as a member of the Jury for admission to the 1895 exposition and the artist responsible for the watercolor painting reproduced in the first exposition portfolio catalogue of 1894.

The following is the preface in its’ original French.  The first line states: “Photography is becoming a charming art …Did I say an Art?”  The writer concludes his piece with the statement that “painting, contrary to a vulgar and superficial opinion, has nothing to fear from the photograph.”

Preface:

La Photographie est en train de devenir un art charmant…

Ai-je bien dit un Art?  J’entends de loin gronder quelque classique confrère–– un peintre ––qui s’indigne de me voir appliquer un si noble nom à ce mécanique procédé; et voici que je suis en même temps vivement répréhendé par un autre, plus moderne –– un photographe –– pour avoir hésité un instant à le traiter de grand artiste et de cher collègue! que faire?… J’aime beaucoup la peinture, et beaucoup mon classique ami, qui ne s’est jamais servi de la photographie pour bien dessiner, et qui n’a pas tort.  Mais j’aime aussi mon grand photographe d’ami, qui a du goût, de l’esprit, qui n’est qu’un amateur, et qui a bien raison! Si je leur disais à tous deux, et au public du même coup, qu’il n’y a aucun rapport entre la peinture et la photographie, c’est-à-dire entre la rèalitè dans la nature et la vérité dans l’art, me croiraient-ils? De fait, j’aurai soulevé, en passant, la grosse question du réalisme et de L’idéalisme, sur laquelle on bataillera tant qu’on fera de l’art ou qu’on en écrira sur la terre; je n’aurai convaincu personne –– naturellement –– mais je serai resté bien convaincu d’avoir définitivement raison en pensant que si la photographie est une des notations les plus directes et les plus véradiques de la leçon que la nature donne perpétuellement à l’homme, l’art est surtout, est seulement la traduction de la pensée ou de l’émotion de l’homme devant la nature, c’est-à-dire tout le contraire! Et c’est pourquoi l’art est la chose la plus grande, la plus admirable, la plus indestructible qui soit; et c’est aussi pourquoi la photographie est en train de devenir un Art.

Et je le prouve. Avez-vous vu les deux premières Expositions que le Photo-Club de Paris avait organisées, l’an dernier, à la Galerie G. Petit, cette année à la Galerie Durand-Ruel?  C’étaient, vous pouvez en croire un rival, des expositions beaucoup plus amusantes que les nôtres. Enfin, plus de couleurs!…Mais je suis inquiet, pour la photographie plus encore que pour la peinture, d’apprendre qu’on vient de découvrir la photographie en couleurs. Il sera très regrettable qu’on détruise cette belle simplification de tons qui donne aux photographies, –– aux bonnes, bien entendu, ––une unité de valeurs qui en font, en somme, la plus étonnante leçon que les peintres puissent recevoir. ––Je me permettrai cependant de dire à perfectionner l’instrument pour obtenir les valeurs justes des choses entre elles, et qu’il leur faut encore travailler un peu pour enfoncer définitivement ces pauvres peintres! –– Et puis, parmi toutes les oeuvres exposées, il n’y avait guère que des oeuvres d’amateurs! Si peu de professionnels! Quel avantage! Aussi bien, la question de l’amateur a été, dans une récente et brillante polémique, jugée, dit-on, sans recours. Je pencherais volontiers aujourd’hui du  côté de l’amateur, au moins en matière de photographie. Il est certain, je le dis en toute sincérité, et j’en fais mes excuses aux professionnels, que des gens de goût, instruits, vivant dans un milieu d’artistes, quelquefois un peu conseillés par eux pour le choix du motif, et faisant pour s’amuser, –– et ils s’amusent beaucoup, je vous le jure! –– des instantanés le dimanche ou même dans la semaine, et se donnant beaucoup de mal pour développer et virer ces petites choses d élisantes, ont beaucoup plus de chances de faire de l’art que les chimistes les plus savants, ou les fabricants les plus brevetés. Ils n’en feraient pas du tout si ceux-ci n’avaient pas existé, c’est possible; mais ils ajoutent au procédé ce je ne sais quoi qui donne du charme aux choses les plus vulgaires, le plaisir de les faire, et cette pointe de grâce sans laquelle il n’y a point de salut, même en photographie!

En vérité, j’ai vu passer sous mes yeux bien des choses qui valaient mieux que tant de tableaux, dans ces séances de Jury où j’étais en compagnie de peintres fort honnêtes, venus avec un reste de scepticisme, et arrêtés, à maintes reprises, pleins d’admiration, devant telle ou telle épreuve d’un coin de paysage saisi dans tout le charme enveloppé de la nature.

L’adresse et l’ingéniosité avec lesquelles le mystère des intérieurs où l’éclat diffus des beaux effets de lumière étaient fixés sur des chiffons de papier; et jusqu’aux petits trucs, permis, je suppose, qui, brouillant spirituellement ou abîmant à point le cliché, faisaient ressembler certaines épreuves à des lavis d’aquarellistes malins bien plus qu’à des photographies de photographes, toutes choses qui désolaient bien un peu les gens du métier  à qui ces peintres, égarés dans la bergerie, je veux dire dans le laboratoire, essayaient de persuader que les photographies un peu ratées étaient les meilleures ; les essais de coloration ou plutôt de décoloration en un seul ton, ou rouge, ou bistre, des épreuves envoyées, les plus jolies, les plus intelligentes, je le confesse à regret, de l’étranger, d’Angleterre ou d’Autriche; quelques curieuses études de nu, encore hésitantes, entachées quelquefois d’arrière-pensées dont on n’aurait vraiment pas cru capable le soleil; et pardessus tout l’imprévu délicieux de la nature surprise au réveil de ses plus belles heures; tout cela faisait un ensemble amusant, nouveau, vivant, et, je le répéte, plein d’art.

Et je suis de ceux qui s’en réjouissent, étant convaincu –– et c’est ce que je tiens à dire en ces quelques lignes qu’ont bien voulu me demander les zélés organisateurs de ces Expositions –– que la peinture, contrairement à une vulgaire et superficielle opinion, n’a rien à craindre de la photographie, et aussi moins à lui demander que ne l’ont cru peut-être quelques artistes; et que, bien au contraire sans doute, plus les moyens mécaniques de reproduction de la nature se perfectionneront, plus l’Art, qui est proprement une sensibilité et non un raisonnement, s’épurera et retournera à ses vraies sources, l’émotion créatrice et l’interprétation pensée, ou si vous aimez mieux la vision des choses en esprit; et c’est bien ce qui me donne l’occasion et le plaisir d’un nouveau remerciement de peintre reconnaissant à la photographie, qui est et restera le contraire, c’est-à-dire la lettre.

Preface: Guillaume Dubufe